Journée du 08 Mars : Contribution d’un acteur de l’école sur le thème
Á l’occasion du 08 Mars de cette année, le thème retenu est » _Pour un monde digital inclusif : innovation et technologies pour l’égalité des sexes_ « , un thème innovant pour les défenseurs des droits des femmes. En effet, le manque de connectivité et de compétences propres à l’ère numérique ne sont pas des questions qui sont généralement traitées en priorité par les défenseurs·res de l’égalité de genre, ni même considérées comme des questions relevant de ce domaine.
La fracture numérique, c’est á dire des inégalités liées á la diffusion des technologies de l’information et de la communication (TIC), est souvent présentée comme l’un des aspects majeurs de l’économie numérique.
Que ce soit au niveau des individus, des organisations, des pays, des blocs géopolitiques, des zones géographiques, des communautés, des groupes sociaux, des métiers…, les définitions relatives à la fracture numérique renvoient à l’idée de division en deux groupes : d’un côté, ceux qui bénéficient de l’économie numérique (haves) et de l’autre, ceux qui sont exclus de l’économie numérique et de ses préposés bienfaits (have-not). ( Rallet,Rochelandet 2004).
Pour rester dans le thème, on peut parler de la « fracture Numérique » des sexes, en analyser les causes et proposer des leviers d’action en tant qu’acteur de l’école.
Le fait que les femmes n’ont pas accès au même titre que les hommes au numérique trouve des explications de plusieurs ordres :
Des contraintes d’ordre économique et social peuvent être évoquées, précisément, familiales et maternelles, pour expliquer un manque d’intérêt. En effet, les femmes subissent un cumul de difficultés qui entravent leur accès aux métiers du numérique. Plus touchées par les inégalités d’ordre économique et social (difficultés de revenus, situations de monoparentalité… ), elles ne disposent pas toujours de ressources nécessaires à un accès et un usage du numérique optimal.
Des difficultés financières, parce que les outils numériques (téléphone, tablette, ordinateur coûtent chers), ainsi que l’accès á internet
L ‘analphabétisme, qui touche plus les femmes que les hommes, est un argument á faire valoir aussi.
Des explications pour en arriver á la conclusion que les femmes sont plus concernées par des situations « d’illectronisme » et il est alors encore plus complexe pour elles de se saisir et d’exploiter pleinement les opportunités économiques du numérique, á l’heure oú le commerce en ligne et l’argent mobile continuent de se développer. En effet, les Services de finance mobile (SFM), en plein essor au Sénégal, pourraient répondre à ces défis, seulement ils restent peu adaptés aux populations rurales défavorisées, faute d’un accompagnement de proximité, de services conçus pour leurs besoins et d’un réseau d’agents accessibles.
Cet aspect discriminatoire est d’ailleurs documenté : un rapport, publié par l’UNESCO en 2019, démontre que les femmes développent moins de compétences numériques que les hommes, notamment du fait de leur sous-représentation au sein des diplômé.es du secteur des nouvelles technologies. En effet, en 2020, un rapport de la commission des droits des femmes et de l’égalité des genres du Parlement européen intitulé « Résorber le fossé numérique entre les femmes et les hommes : la participation des femmes à l’économie numérique » notait que les femmes ne représentent que 17% de l’ensemble des étudiant·es dans le secteur des Technologies de l’Information et des Communications (TIC).
Au Sénégal, dans les filières scientifiques, qui disposent ou préparent au métier du numérique, les filles sont faiblement représentées. En effet, selon des statistiques du ministère qui datent de 2017, les filles sont moins représentées : 30 % seulement des filles fréquentent les séries scientifiques contre70 % de garçons. Dans le supérieur, les statistiques démontrent que les filles font moins de 30 % et les chercheures ne représentent que 25 % »
Ces disparités en termes d’intégration peuvent s’expliquer en partie par le fait que les outils numériques peuvent intégrer, renouveler et perpétuer certains stéréotypes sexistes, puisqu’étant conçus par des équipes en grande majorité masculine.
Autant de facteurs qui plombent le développement des pays sous-développés, des pays comme le nôtre où les femmes sont très présentes dans les activités économiques et malheureusement du fait de leur « situation d’illectronisme » ne profitent pas de toutes les opportunités du numérique appliqué á l’éducation et surtout á l’économie.
Des leviers pour l’inclusion numérique. Quelles actions á l’école ?
Les inégalités sociales, économiques et celles du genre restent la priorité des politiques du développement.
Et l’inclusion numérique pourrait être une des solutions.
Dans le secteur de l’éducation á la base, il faut continuer á promouvoir l’éducation des filles, leur orientation et leur accompagnement dans les filières scientifiques, vers les métiers du numérique. Il faut une orientation discriminatoire pour encourager les filles á faire carrière dans les métiers du numérique. Pourvu aussi que des opportunités de travail s’offrent á elles dans les secteurs de l’économie et qu’elles en soient conscientes.
Ces métiers du numérique doivent être vulgarisés avec des campagnes d’information et de sensibilisation dans les lycées et collèges où des cours d’informatique doivent être systématiquement intégrés dans les emplois du temps.
La sensibilisation des jeunes, et notamment des jeunes filles, dès le primaire, apparaît, ainsi, comme un enjeu phare pour assurer un véritable numérique inclusif. Mais pourvu que l’information complète soit dispensée par des professionnels·les formé·es.
Ce qu’il faut constater et déplorer dans nos collèges et lycées, c’est que les enseignants n’utilisent pas assez le matériel informatique mis á leur disposition pour dérouler leurs cours. Beaucoup de mes collègues, des analphabètes contemporains, continuent d’enseigner avec des méthodes traditionnelles sans tenir compte des technologies de l’information et de la communication appliquées á l’éducation (TICE). Les enseignants doivent désormais, s’adapter au tournant technologique comme leurs élèves pour ne pas risquer la « ringardisation » de leur métier ; tenir compte des Technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (ou pour l’éducation appelés TICE).
Il est, d’ailleurs, indispensable, comme le pensent Maurice Tardif et Claude Lessard auteurs du livre Le travail enseignant au quotidien : expérience, interactions humaines et dilemmes professionnels (1999), de se maintenir à l’affût des nouveaux matériels, des derniers procédés, des astuces pédagogiques les plus récentes.
– La lutte contre les stéréotypes est un autre levier d’action : il faut á bas âge faire comprendre aux filles qu’elles ne sont pas prédestinées du fait de leur sexe á un métier quelconque ; qu’elles peuvent choisir le métier de leur rêve.
-Il faut que des femmes pionnières du numérique passent dans les écoles pour donner l’exemple, pour montrer aux jeunes filles qu’elles peuvent devenir développeuses, techniciennes, blogueuses, ingénieures etc.
– Il faut que les autorités fassent de l’inclusion numérique des femmes une priorité en tant qu’elle est un enjeu public. Ce qui suppose une politique d’aide pour la création d’entreprises dans le secteur; le financements des projets sur le numérique trouvés ; des fondations, associations, des clubs numériques dans les écoles pour inscrire l’inclusion numérique dans les agendas du gouvernement. Des mesures fortes pour pallier le « gender gap » persistant dans le secteur du numérique et des nouvelles technologies.
Bira Sall Professeur de Philosophie au Lycée Ababacar Sy de Tivaouane. Chercheur en Éducation.sallbira@yahoo.fr